Roda que rodaras, mai dins ton pais tornaras.

Gruissan Phœbus Trail - 50km - 2 Février 2012

7h30 - seul dans la voiture garée près du Casino Le Phœbus, j’observe l’étrange spectacle qui se déroule à l’extérieur: des êtres à l’allure fantomatique s’agitent frénétiquement, zébrant de leurs costumes sombres la clarté diffuse du crépuscule naissant.
    Tels des étourneaux dans le ciel d’automne, ils virevoltent en groupes compacts, irrésistiblement attirés vers une musique hollywoodienne toute proche, rythmes lancinants ponctués par l’accent rocailleux et puissant d’un speaker sportif, gourou des temps modernes.
   
Sportif - dérivé de sport; mot emprunté à l’anglais depuis le XVème siècle au sens de amusement, passe-temps, jeu, distraction - mot lui-même issu de l’ancien français deport au sens de plaisir, divertissement.
    Une parenthèse étymologique pour bien marquer cette situation incongrue qui consiste à se mettre  en difficulté pour se faire plaisir! Cela dans un esprit volontaire et pour la plupart, désintéressé…
    Car il faut l’être, aujourd’hui, sportif, volontaire et désintéressé pour affronter les conditions climatique extrêmes au lieu de savourer la quiétude apaisante d’un giron familial dominical.
    Température extérieure:
-7° - vent de secteur Ouest à 60 km/h avec des rafales pouvant atteindre les 80 à 100 km/h - refroidissement éolien jusqu’à -14°.
Pour mon premier Trail long  - 50 km pour 1320 m de dénivelé positif - le défi s’annonce sérieux!
    Mais je reste serein et confiant. Par un entraînement régulier, une alimentation adaptée, une parfaite connaissance  du terrain, cette épreuve reste accessible et m’offre l’occasion de partager des moments exceptionnels entre famille et amis.
    Un coup de feu retentit soudain, brisant net mes rêveries. Le départ du
23 km - Las Caladas - vient d’être donné et je distingue la vague ondulante des 600 coureurs déferlant sur le bitume glacé à l’image du grand flux migratoire d’animaux en perdition.
    Gaëtan, Julia et Damien, sortis encourager Virginie partie disputer la 1ère course, sont de retour au véhicule pour peaufiner leur équipement et repartir presque aussitôt     sans m’attendre. De mon côté, plus lent dans mes décisions, j’ajuste mes vêtements, le but essentiel étant, dans un premier temps, de ne pas souffrir du froid.
    Supports fondamentaux du corps, pieds et membres inférieurs ont fait l’objet de soins attentifs: pommade de protection, ongles coupés au carré, chaussettes et chaussures récentes, manchons de contention, collant chaud doublé d’un cuissard pour préserver au mieux le centre vital des réflexions érogènes sans lequel l’homme ne serait pas. Pour la partie supérieure, trois couches suffiront: tee-shirt respirant à manches longues doublé d’un maillot micro-polaire isolant, le tout recouvert d’une veste coupe-vent, protection fétiche à action psychologique renforcée par le souvenir de Pierre.
    Pour la tête, bandeau et casquette étanche, cou et visage à l’abri sous le Buff
® des Citadelles, fourreau modulable indispensable chez tout traileur sérieux. Crème hydratante pour les mains bien gainées dans des gants contre le froid et les chutes.
    Dans le sac à dos, contenus dans poche à eau et bidon, 2,5 litres de solution  isotonique - Hydraminov
® - déjà testée favorablement et dont les qualités m’ont été vantées par Benoît, conseiller technique expérimenté chez Cap Run. A portée de main, quelques barres de pâte d’amande, gels glucosés, biscuits salés et fruits secs me permettront de tenir les 6 heures que je me suis fixé pour subvenir à mes besoins énergétiques en dehors des deux ravitaillements officiels.
    J’emporte aussi téléphone portable et couverture de survie recommandés par l’organisation. Le poids du sac doit dépasser les 3 kg mais le dernier entraînement avec matériel, accessoires et provisions s’est avéré concluant: la charge à porter est directement en rapport avec l’autonomie et la dépense calorique à compenser…surtout avec les conditions météo actuelles.
    Il reste 30 min avant le départ. Bien harnaché dans mon équipement, je quitte la voiture pour rejoindre les concurrents du 50 km à l’abri dans le grand hall du Casino.
    Difficile de reconnaître des visages connus parmi les 400 partants emmitouflés. On dirait une armée de ninja prêts à affronter quelque force maléfique. D’ailleurs, la technique du
budo ne met-elle pas en relief l’endurance, la persévérance et la capacité d’adaptation, qualité commune des traileurs expérimentés? Sans les connaître, je dois frôler des athlètes confirmés aux performances époustouflantes dignes des plus grands héros de la mythologie grecque, mais ignorés des foules télévisuelles léthargiques. Voici Julia, Gaëtan, Damien, Yves, Laïd, Alexis…enfin des physionomies reconnues, personnalités locales méritantes et attachantes. Accolades, tapes dans le dos, plaisanteries bon enfant dissimulent mal la tension exacerbée par l’imminence du départ.
    Peu à peu, dans un même élan grégaire, la foule des sportifs sort du bâtiment pour converger vers l’arche de départ, à l’appel du starter. Tout en écoutant distraitement les dernières recommandations des organisateurs, je rejoint Julia et Damien à l’arrière du peloton pendant que Yves immortalise sur photo cet instant mémorable.
    Le compte à rebours débute, la musique s’intensifie, le signal de départ résonne enfin et la troupe, d’abord compacte, s’étire progressivement, rythmée par le staccato feutré du piétinement collectif.
    En tête de course, l’élite mène déjà bon train. Gaëtan doit être parmi eux. Concentré sur ma course, je quitte le groupe ami cherchant à m’échauffer efficacement avant les premières montées. Pas facile de se faufiler dans ce dédale de corps en mouvement en évitant les irrégularités du parcours.
    Dès les premiers kilomètres, je commence à m’hydrater - l’alarme du GPS réglée pour sonner à chaque km me rappelle que je dois avaler une deux gorgées de liquide, condition essentielle à la prévention des troubles physiologiques possibles (crampes, hypoglycémie, fatigue musculaire, tendinites…) pouvant entraîner une baisse des performances, voire l’abandon tant redouté.

2,6 km: première montée sérieuse sur 400 m. Mains sur les cuisses, concentré sur mes appuis, je gravis en marche rapide le  "mur" des réservoirs du Peyral qui dominent le village, en suivant obstinément le trajet que je m'étais fixé lors de mes reconnaissances.
    Tout en haut, mer, lagunes et collines s'exposent aux regards hagards jusqu'aux Pyrénées embrumées. Mais l' effort m'a-t-il coupé le souffle à ce point? C'est en vain que je tente d'aspirer le liquide de mon bidon externe… Je comprends alors que le gel en obstrue le siphon. Pour boire, je dois  dévisser le couvercle et m'arrêter pour ingurgiter sans trembler, à même le bidon, une solution glacée supposée régénérante. De plus, il s'agit de réchauffer quelques instants le liquide dans la bouche pour ne pas créer un choc thermique pouvant provoquer des troubles digestifs. Plutôt agacé, c'est pendant la descente jusqu'à la
Fontaine des Chevriers que  je découvre que le tuyau de la poche à eau est également gelé.
Quelques kilomètres de doute et d'interrogation passés, je trouve la solution à ce problème crucial: il suffit de placer le tuyau au plus près du corps, sous le coupe-vent, pour le protéger durablement du gel.

4 km: accès toujours aussi rude au plateau du Castela - le paysage grandiose compense l'âpreté piégeuse du sentier caillouteux: vers l'Est, le cordon littoral s'étire lascivement jusqu'à Agde et Sète, mamelons jumeaux fièrement érigés semblant défier la frigidité d'une atmosphère sibérienne.

5,5 km: le ruisseau à sec du Rec d'Argent franchi sans encombre, je parviens au parking au bas de la chapelle Notre Dame des Auzils après m'être laissé surprendre par le flash d'un photographe professionnel à l'affût, bien calfeutré au fond d'un dôme-studio.

6 km: parfaitement indiqué par un balisage coloré bien visible et des bénévoles-indicateurs bien transis, j'atteins le point de divergence des trois courses du jour pour emprunter le parcours long qui va nous entraîner dans un détour d'une vingtaine de kilomètres à travers pinèdes et garrigue avant de revenir temporairement sur la chapelle. Je le sais, cette première partie est très nuancée par la variété des paysages traversés, mais elle peut vite s'avérer éreintante avec une multiplication de montées et descentes très brèves, des sentiers sinueux et quelques longs faux-plats où la relance est malaisée. L'intention est de conserver une moyenne horaire supérieure à 8,5 km/h sans dépense  superflue d'énergie .

Jusqu'au
Km 10, je précède deux jeunes femmes dont les effluves enivrantes m'enfièvrent dans un maelström satanique - euh... pardon… je m'égare… hypoglycémie sans doute… où est la ru-balise?… - deux jeunes femmes, disais-je, qui tout en courant, papotent comme s'il s'agissait d'une promenade digestive ou d'un footing de remise en forme. Légèrement agacé par ce qu'il m'apparaît comme de la désinvolture face à un évènement de cette importance, je réussis malgré tout à passer devant et les distancer, retrouvant ainsi la mélopée rassurante des pas et le sifflement familier du vent dans les pins. Dans les combes abritées, la force éolienne est atténuée et la chaleur corporelle semble augmentée. Mais le froid reste vif et je dois modérer dégagement calorique et transpiration en découvrant plus ou moins le Buff® et en jouant sur le zip de ma veste.
    Jusqu'à présent, peu de coureurs m'ont dépassé, excepté lorsque j'ai dû me résoudre à une brève halte pour libérer la chaussure droite d'une brindille inopportune qui gênait ma progression.

15 km: Les rencontres avec les autres concurrents se font plus rares. Quelques mots échangés lors d'un bref cheminement commun, quelques encouragements au dépassement d'un piéton à la peine, les mots sont là pour exprimer ce que le corps ne peut plus. Heureusement, les bénévoles, présents à tous les carrefours et points stratégiques, brisent spontanément la solitude du traileur de fond par des manifestations de sympathie réconfortantes. Saint Bernard imberbes, ils sont aussi là pour secourir les blessés et recueillir les abandons.

20km
: depuis Pech Rouge, j'ai commencé à m'alimenter - ½ barre de pâte d'amandes toutes les 30 min - afin de garder une réserve énergétique en vue de l'ascension vers Vente Farine et La Vigie. L'hydratation  est toujours problématique car je perçois mal les alarmes kilométriques du GPS avec mes oreilles surprotégées. Mais je me force à boire malgré la brûlure du liquide glacé.

22km: pas de problèmes majeurs pour l'instant. Alternant marche rapide dans les montées et relance dès que le relief s'atténue, je maintiens une vitesse moyenne de 9km/h. Je reste cependant prudent dans les descentes pour préserver genoux et fibres musculaires dont j'aurai grand besoin en deuxième partie de course.
    Au débouché de la
Passe de l'Obre, à hauteur de la ruine des Colombiers, des bouffées de musiques techno/dance envahissent graduellement l'espace sonore dominé jusqu'à présent par les rafales venteuses glacées. L'auteur de cet intermède musical très cadencé n'est autre que Jacques, de l'A.C.N.M., vainqueur V3, entre autres exploits, du dernier Marathon des Alpes Maritimes; aidé par une puissante sonorisation, il est venu stimuler bruyamment les ardeurs des traileurs victimes potentielles d'une torpeur hivernale ankylosante.
    Un salut amical et j'attaque la brève mais rude montée vers
Vente-Farine en compagnie de deux autres grimpeurs dont le souffle rauque s'associe aux accents rock de cette musique cyclique. Quelques dizaines de mètres sur la piste puis bifurcation sur la gauche pour gravir un nouveau raidillon où l'aide des mains est nécessaire. Toujours prudent dans l'effort, je rejoins le chemin escarpé qui mène à la Vigie en recevant de plein fouet le Cers omniprésent qui semble s'être renforcé. Un regard circulaire sur le point de vue exceptionnel et il faut poursuivre sans attendre malgré l'effort accru par le froid  et les rafales irréfutables.

25 km: 2 h 46 min 56 s de course - La moitié du parcours est accomplie. Même s'il me reste une marge de manœuvre pour terminer dans les 6h, je sais qu'il faudra résister pendant encore 3h à la fatigue, aux cailloux, aux éléments hostiles… Mentalement, je suis déterminé, mon corps n'a plus qu'à suivre. D'ailleurs, l'accès au plateau de la Garrigue de Figuières vient expérimenter de façon agressive mes bonnes résolutions.
    Le GR®
sentier de la Clape ne se laisse pas conquérir docilement et c'est après une lutte opiniâtre de 1,5 km que j'en viens à bout avant de m'orienter enfin vent arrière, vers les Auzils. Au carrefour dominant Figuières, un magnifique drapeau aux couleurs catalanes, solidement arrimé, claque fièrement au vent d'Ouest, repère immuable pour piétons en déroute.
    Le retour vers la chapelle est moins contraignant mais je reste néanmoins en éveil: c'est un monotrace que je connais bien pour l'avoir pratiqué à plusieurs reprises seul et avec Yves - les cailloux qui le compose sont autant de pièges en attente de chevilles incertaines ou de foulées trop rasantes. Je me laisse malgré tout  entraîner par l'allure soutenue d'un concurrent et, bien calé dans son sillage, déguste quelques abricots secs, juste récompense gustative pour raviver les calories perdues dans le combat contre la bourrasque.

29 km: arrivé à proximité des Auzils,  je laisse la chapelle votive et ses cénotaphes sur ma gauche pour suivre le sentier venté qui surplombe la retenue du Rec d'Argent. Dans la descente escarpée vers la vallée du Rec, je laisse filer un coureur intrépide qui me talonnait depuis un certain temps - je ne supporte pas qu'un homme me suive ainsi de près, même pour des raisons sportives, surtout si celles-ci sont doublées d'intentions amicales…
    Le passage à l'abri dans le ruisseau rocailleux pourrait paraître comme une simple formalité tant je l'ai parcouru mainte fois et en toutes saisons; je ressens tout de même, personne ne peut s'en étonner, une certaine diminution de mon aisance habituelle à escalader les nombreux obstacles rocheux.
Alternant désormais alimentation salée et sucrée, je réussis toutefois à dépasser poliment un trio vraisemblablement en phase de récupération.
    Au terme du périple empierré dans le Rec, le sentier du
Plan Vigné se présente à moi comme une trêve dans ce combat dérisoire et pathétique contre la nature. La déclivité du terrain s'est estompée pour s'incliner favorablement en une douce descente odorante coulant entre chênes, pistachiers, genévriers, romarins… J'y verrai presque un hommage à ma pugnacité: ce n'est que de l'auto suggestion consciente, méthode personnelle de combat contre le désarroi.
    Brusquement, au détour d'un bosquet, la gifle magistrale d'une rafale glaciale vient mettre un terme à mes élucubrations. Je viens de parvenir en haut des falaises dominant
Gruissan et les étangs, non loin du domaine de Pierre Droite. Le point de vue est remarquable, remarquablement venté aussi. Signalétique de danger et secouristes fluorescents sont là pour inciter à la prudence au passage obligé par la corde immuable, rampe d'accès obligatoire amenant au pied des falaises d'escalade qu'il faut longer et en dévaler le sentier poussiéreux jusqu'à la route (32 km). Un coup d'œil sur le GPS, témoin cruel mais impartial: il m'indique comme je m'en doutais, une baisse de moyenne horaire que j'accepte avec résignation.

33 km: - 4h de course - 1er ravitaillement: une tente, des bénévoles chaleureux affairés à réconforter les organismes des coureurs marqués par les kilomètres parcourus. Sur une table garnie de victuailles énergétiques, je me laisse tenter, même si je n'en éprouve pas l'envie, par un morceau de banane, une part de pain d'épices, un coca glacé(!) suivi d'une soupe brûlante(!!). Mélange étonnant et détonnant qui, à défaut de se révéler gastronomique, devrait me rendre la vigueur nécessaire à la quête obstinée d'une arrivée salvatrice.
    Et là, au fond de la tente, dignement drapé d'une couverture rustique, immobile auprès d'une imposante marmite où mijote la soupe rituelle, tel un vénérable druide en pleine méditation transcendantale, m'apparaît Gaëtan!
    Son apparition est d'autant plus insolite à ce moment que je l'imaginais déjà proche de l'arrivée, perspective tout à fait plausible compte tenu de ses capacités physiques et de son âge. Tout en m'aidant au remplissage du bidon, il m'explique que, suite à l'abandon de son coéquipier Alexis, il a décidé d'attendre Julia pour parcourir ensemble les 17 km restants. Abnégation admirable et respectable! Quelle attitude chevaleresque!
    A propos de cheval, il est temps pour moi de me remettre en selle et repartir au trot direction l'
Ile St Martin. Avant, j'évalue rapidement la capacité restante de ma poche à eau: un peu plus d'1litre - ce qui devrait me permettre de terminer sans avoir à me réapprovisionner.

40 km: - 4h 49 min de course - je viens de passer la Combe de l'Abeille bien abritée, trop bref répit avant de virer à droite pour longer l'étang de Campignol vaste miroir inerte figé par la glace, animé il y a à peine un mois par le long tapis ondoyant d'une colonie migratoire de foulques macroules.
    Auparavant, prendre pied sur l'
Ile St Martin n'a pas été des plus facile. Après ma halte reconstituante, la relance a été très progressive pour atteindre la bosse de St Laurent avec vent de face et montée douce mais éprouvante sur 1 km. Le domaine de Capoulade s'est laissé docilement contourner par le haut pour offrir sournoisement la descente brutale d'un coupe-feu au sol fuyant, instable. En évitant de me laisser emporter par la vitesse, je gardais cependant suffisamment d'ardeur pour m'élancer tout en bas sur un sentier discret remontant sèchement à travers pins et rochers pour redescendre enfin, après quelque serpentement intime et sauvage à travers les sous-bois, sur le large chemin plat de l'étang de Gruissan. C'est à cet endroit précis, juste avant de franchir la passerelle métallique, que je dépassais deux concurrents dont la progression était contrariée par les bourrasques déraisonnablement réfrigérantes d'un Cers impitoyable. Dans cette lutte inégale, l'obstination d'avancer paraissait m'ouvrir la voie comme l'étrave d'un brise glace inébranlable. Dans ces moments difficiles, j'invoquais à haute voix le nom de mes proches et cette seule évocation suffisait à attiser l'effet recherché…atteindre le but ultime: progresser!

42 km: comme je le pressentais, les 10 derniers kilomètres se révèlent les plus éprouvants. Le sentier des Goules qui épouse la Barre de l'Evêque d'habitude si propice à la rêverie et à l'enchantement par ses accents typiquement méditerranéens, se dévoile aujourd'hui en immonde chimère venue du Grand Nord figer d'effroi et de froid l'occitan chaleureux.
    Bousculées par les salves venteuses assidues, les jambes peinent à assurer l'équilibre du corps sur le sentier généreusement empierré. Vexé par tant d'acharnement morbide de la nature contre la probité laborieuse de mon ambition, je tourne enfin le dos à l'assaillant éolien  aidé en cela par un changement providentiel dans la direction du parcours.
    Passage devant un dernier contrôle de dossards, quelques foulées moelleuses sur le bord de l'
étang de l'Ayrolle, pour arriver à travers les vignes de l'Evêque, au dernier ravitaillement. Il est 13h30. Plus que 6 km avant l'arrivée. Un coca avalé à la hâte pour émoustiller mes derniers neurones cérébraux encore fonctionnels et je repars, pressé dès lors de mener cette aventure jusqu'à son terme dorénavant accessible.
    Entre les vignes de
la Plaine et de St Martin, l'impression de réaliser une course en solitaire devient une réalité incontestable. Au fil des kilomètres et des difficultés rencontrées, la distance entre les combattants du sentier s'est graduellement accrue. Seuls spectateurs privilégiés d'une mise en scène dramatique, les bénévoles, par leurs encouragements bienveillants, parviennent à offrir une touche délicatement humaine à cette dure lutte contre nature.

47 km: sur le sentier rocailleux qui évolue à travers crêtes et combes, le regard découvre par intermittence, au grès des courbes de niveau, le vaste damier des marais salants pétrifiés. Plus loin, l'oscillation de mâts dévoilés annonce Gruissan et son port.
    Mais, est-ce l'euphorie de la fin de course qui incite, malgré la fatigue, à réduire ma vigilance aidé en cela par une bouffée d'endorphines légalement stupéfiantes?
    Subitement, mon pied gauche heurte l'extrémité d'une pierre à l'apparence anodine, solidement enchâssée dans la terre aride. Le corps déséquilibré avec l'intuition d'une chute imminente inévitable, je ne peux résister à l'appel du sol, les bras tendus en avant dans un réflexe instinctif de survie. Une fraction de seconde pendant laquelle je revois, comme dans un diaporama fou, les choses de ma vie. Après une roulade latérale amortie par le sac à dos, mon corps s'immobilise aussitôt. Le halo lumineux vers lequel je crois être aspiré n'est que la buée diaphane plaquée sur le verre des lunettes. Rapidement debout, le constat est rassurant… doublement rassurant: pas de mal apparent, pas de témoins aux alentours. Le corps et l'honneur saufs, je repars sans tarder vers la colline dominant
Gruissan pour en dévaler la pente à pas mesurés, entre les pins vénérables.
    A l'entrée du village, avant de franchir le
canal du Grazel, j'absorbe un dernier gel hyper glucidique qui me permet d'avaler le dernier kilomètre avec force et détermination malgré  la coalition infernale du vent et du  froid , de la fatigue et la douleur.


50km: - 6h 01 min 59 s de course - arrivée triomphale discrète sur le long tapis rouge à l'intérieur du Palais des Congrès. Accueilli chaleureusement par quelques amis, je me laisse envahir par un sentiment de fierté légitime et revitalisante. L'objectif est atteint, la mission accomplie…En attendant les résultats officiels ainsi que l'arrivée de Julia escortée de ses preux chevaliers, je me fraye un passage vers le buffet et, après alimentation et hydratation reconstituantes, je m'offre le luxe d'un massage apaisant qui devrait réduire l'intensité des courbatures des prochains jours.
    A bientôt pour de nouvelles aventures à l'assaut des châteaux occitans:
Trail des Citadelles 2012 à Lavelanet -
Course des Seigneurs 2012 à Cucugnan.