Roda que rodaras, mai dins ton pais tornaras.

Gruissan Phœbus Trail - 50km - 2 Février 2012

7h30 - seul dans la voiture garée près du Casino Le Phœbus, j’observe l’étrange spectacle qui se déroule à l’extérieur: des êtres à l’allure fantomatique s’agitent frénétiquement, zébrant de leurs costumes sombres la clarté diffuse du crépuscule naissant.
    Tels des étourneaux dans le ciel d’automne, ils virevoltent en groupes compacts, irrésistiblement attirés vers une musique hollywoodienne toute proche, rythmes lancinants ponctués par l’accent rocailleux et puissant d’un speaker sportif, gourou des temps modernes.
   
Sportif - dérivé de sport; mot emprunté à l’anglais depuis le XVème siècle au sens de amusement, passe-temps, jeu, distraction - mot lui-même issu de l’ancien français deport au sens de plaisir, divertissement.
    Une parenthèse étymologique pour bien marquer cette situation incongrue qui consiste à se mettre  en difficulté pour se faire plaisir! Cela dans un esprit volontaire et pour la plupart, désintéressé…
    Car il faut l’être, aujourd’hui, sportif, volontaire et désintéressé pour affronter les conditions climatique extrêmes au lieu de savourer la quiétude apaisante d’un giron familial dominical.
    Température extérieure:
-7° - vent de secteur Ouest à 60 km/h avec des rafales pouvant atteindre les 80 à 100 km/h - refroidissement éolien jusqu’à -14°.
Pour mon premier Trail long  - 50 km pour 1320 m de dénivelé positif - le défi s’annonce sérieux!
    Mais je reste serein et confiant. Par un entraînement régulier, une alimentation adaptée, une parfaite connaissance  du terrain, cette épreuve reste accessible et m’offre l’occasion de partager des moments exceptionnels entre famille et amis.
    Un coup de feu retentit soudain, brisant net mes rêveries. Le départ du
23 km - Las Caladas - vient d’être donné et je distingue la vague ondulante des 600 coureurs déferlant sur le bitume glacé à l’image du grand flux migratoire d’animaux en perdition.
    Gaëtan, Julia et Damien, sortis encourager Virginie partie disputer la 1ère course, sont de retour au véhicule pour peaufiner leur équipement et repartir presque aussitôt     sans m’attendre. De mon côté, plus lent dans mes décisions, j’ajuste mes vêtements, le but essentiel étant, dans un premier temps, de ne pas souffrir du froid.
    Supports fondamentaux du corps, pieds et membres inférieurs ont fait l’objet de soins attentifs: pommade de protection, ongles coupés au carré, chaussettes et chaussures récentes, manchons de contention, collant chaud doublé d’un cuissard pour préserver au mieux le centre vital des réflexions érogènes sans lequel l’homme ne serait pas. Pour la partie supérieure, trois couches suffiront: tee-shirt respirant à manches longues doublé d’un maillot micro-polaire isolant, le tout recouvert d’une veste coupe-vent, protection fétiche à action psychologique renforcée par le souvenir de Pierre.
    Pour la tête, bandeau et casquette étanche, cou et visage à l’abri sous le Buff
® des Citadelles, fourreau modulable indispensable chez tout traileur sérieux. Crème hydratante pour les mains bien gainées dans des gants contre le froid et les chutes.
    Dans le sac à dos, contenus dans poche à eau et bidon, 2,5 litres de solution  isotonique - Hydraminov
® - déjà testée favorablement et dont les qualités m’ont été vantées par Benoît, conseiller technique expérimenté chez Cap Run. A portée de main, quelques barres de pâte d’amande, gels glucosés, biscuits salés et fruits secs me permettront de tenir les 6 heures que je me suis fixé pour subvenir à mes besoins énergétiques en dehors des deux ravitaillements officiels.
    J’emporte aussi téléphone portable et couverture de survie recommandés par l’organisation. Le poids du sac doit dépasser les 3 kg mais le dernier entraînement avec matériel, accessoires et provisions s’est avéré concluant: la charge à porter est directement en rapport avec l’autonomie et la dépense calorique à compenser…surtout avec les conditions météo actuelles.
    Il reste 30 min avant le départ. Bien harnaché dans mon équipement, je quitte la voiture pour rejoindre les concurrents du 50 km à l’abri dans le grand hall du Casino.
    Difficile de reconnaître des visages connus parmi les 400 partants emmitouflés. On dirait une armée de ninja prêts à affronter quelque force maléfique. D’ailleurs, la technique du
budo ne met-elle pas en relief l’endurance, la persévérance et la capacité d’adaptation, qualité commune des traileurs expérimentés? Sans les connaître, je dois frôler des athlètes confirmés aux performances époustouflantes dignes des plus grands héros de la mythologie grecque, mais ignorés des foules télévisuelles léthargiques. Voici Julia, Gaëtan, Damien, Yves, Laïd, Alexis…enfin des physionomies reconnues, personnalités locales méritantes et attachantes. Accolades, tapes dans le dos, plaisanteries bon enfant dissimulent mal la tension exacerbée par l’imminence du départ.
    Peu à peu, dans un même élan grégaire, la foule des sportifs sort du bâtiment pour converger vers l’arche de départ, à l’appel du starter. Tout en écoutant distraitement les dernières recommandations des organisateurs, je rejoint Julia et Damien à l’arrière du peloton pendant que Yves immortalise sur photo cet instant mémorable.
    Le compte à rebours débute, la musique s’intensifie, le signal de départ résonne enfin et la troupe, d’abord compacte, s’étire progressivement, rythmée par le staccato feutré du piétinement collectif.
    En tête de course, l’élite mène déjà bon train. Gaëtan doit être parmi eux. Concentré sur ma course, je quitte le groupe ami cherchant à m’échauffer efficacement avant les premières montées. Pas facile de se faufiler dans ce dédale de corps en mouvement en évitant les irrégularités du parcours.
    Dès les premiers kilomètres, je commence à m’hydrater - l’alarme du GPS réglée pour sonner à chaque km me rappelle que je dois avaler une deux gorgées de liquide, condition essentielle à la prévention des troubles physiologiques possibles (crampes, hypoglycémie, fatigue musculaire, tendinites…) pouvant entraîner une baisse des performances, voire l’abandon tant redouté.

2,6 km: première montée sérieuse sur 400 m. Mains sur les cuisses, concentré sur mes appuis, je gravis en marche rapide le  "mur" des réservoirs du Peyral qui dominent le village, en suivant obstinément le trajet que je m'étais fixé lors de mes reconnaissances.
    Tout en haut, mer, lagunes et collines s'exposent aux regards hagards jusqu'aux Pyrénées embrumées. Mais l' effort m'a-t-il coupé le souffle à ce point? C'est en vain que je tente d'aspirer le liquide de mon bidon externe… Je comprends alors que le gel en obstrue le siphon. Pour boire, je dois  dévisser le couvercle et m'arrêter pour ingurgiter sans trembler, à même le bidon, une solution glacée supposée régénérante. De plus, il s'agit de réchauffer quelques instants le liquide dans la bouche pour ne pas créer un choc thermique pouvant provoquer des troubles digestifs. Plutôt agacé, c'est pendant la descente jusqu'à la
Fontaine des Chevriers que  je découvre que le tuyau de la poche à eau est également gelé.
Quelques kilomètres de doute et d'interrogation passés, je trouve la solution à ce problème crucial: il suffit de placer le tuyau au plus près du corps, sous le coupe-vent, pour le protéger durablement du gel.

4 km: accès toujours aussi rude au plateau du Castela - le paysage grandiose compense l'âpreté piégeuse du sentier caillouteux: vers l'Est, le cordon littoral s'étire lascivement jusqu'à Agde et Sète, mamelons jumeaux fièrement érigés semblant défier la frigidité d'une atmosphère sibérienne.

5,5 km: le ruisseau à sec du Rec d'Argent franchi sans encombre, je parviens au parking au bas de la chapelle Notre Dame des Auzils après m'être laissé surprendre par le flash d'un photographe professionnel à l'affût, bien calfeutré au fond d'un dôme-studio.

6 km: parfaitement indiqué par un balisage coloré bien visible et des bénévoles-indicateurs bien transis, j'atteins le point de divergence des trois courses du jour pour emprunter le parcours long qui va nous entraîner dans un détour d'une vingtaine de kilomètres à travers pinèdes et garrigue avant de revenir temporairement sur la chapelle. Je le sais, cette première partie est très nuancée par la variété des paysages traversés, mais elle peut vite s'avérer éreintante avec une multiplication de montées et descentes très brèves, des sentiers sinueux et quelques longs faux-plats où la relance est malaisée. L'intention est de conserver une moyenne horaire supérieure à 8,5 km/h sans dépense  superflue d'énergie .

Jusqu'au
Km 10, je précède deux jeunes femmes dont les effluves enivrantes m'enfièvrent dans un maelström satanique - euh... pardon… je m'égare… hypoglycémie sans doute… où est la ru-balise?… - deux jeunes femmes, disais-je, qui tout en courant, papotent comme s'il s'agissait d'une promenade digestive ou d'un footing de remise en forme. Légèrement agacé par ce qu'il m'apparaît comme de la désinvolture face à un évènement de cette importance, je réussis malgré tout à passer devant et les distancer, retrouvant ainsi la mélopée rassurante des pas et le sifflement familier du vent dans les pins. Dans les combes abritées, la force éolienne est atténuée et la chaleur corporelle semble augmentée. Mais le froid reste vif et je dois modérer dégagement calorique et transpiration en découvrant plus ou moins le Buff® et en jouant sur le zip de ma veste.
    Jusqu'à présent, peu de coureurs m'ont dépassé, excepté lorsque j'ai dû me résoudre à une brève halte pour libérer la chaussure droite d'une brindille inopportune qui gênait ma progression.

15 km: Les rencontres avec les autres concurrents se font plus rares. Quelques mots échangés lors d'un bref cheminement commun, quelques encouragements au dépassement d'un piéton à la peine, les mots sont là pour exprimer ce que le corps ne peut plus. Heureusement, les bénévoles, présents à tous les carrefours et points stratégiques, brisent spontanément la solitude du traileur de fond par des manifestations de sympathie réconfortantes. Saint Bernard imberbes, ils sont aussi là pour secourir les blessés et recueillir les abandons.

20km
: depuis Pech Rouge, j'ai commencé à m'alimenter - ½ barre de pâte d'amandes toutes les 30 min - afin de garder une réserve énergétique en vue de l'ascension vers Vente Farine et La Vigie. L'hydratation  est toujours problématique car je perçois mal les alarmes kilométriques du GPS avec mes oreilles surprotégées. Mais je me force à boire malgré la brûlure du liquide glacé.

22km: pas de problèmes majeurs pour l'instant. Alternant marche rapide dans les montées et relance dès que le relief s'atténue, je maintiens une vitesse moyenne de 9km/h. Je reste cependant prudent dans les descentes pour préserver genoux et fibres musculaires dont j'aurai grand besoin en deuxième partie de course.
    Au débouché de la
Passe de l'Obre, à hauteur de la ruine des Colombiers, des bouffées de musiques techno/dance envahissent graduellement l'espace sonore dominé jusqu'à présent par les rafales venteuses glacées. L'auteur de cet intermède musical très cadencé n'est autre que Jacques, de l'A.C.N.M., vainqueur V3, entre autres exploits, du dernier Marathon des Alpes Maritimes; aidé par une puissante sonorisation, il est venu stimuler bruyamment les ardeurs des traileurs victimes potentielles d'une torpeur hivernale ankylosante.
    Un salut amical et j'attaque la brève mais rude montée vers
Vente-Farine en compagnie de deux autres grimpeurs dont le souffle rauque s'associe aux accents rock de cette musique cyclique. Quelques dizaines de mètres sur la piste puis bifurcation sur la gauche pour gravir un nouveau raidillon où l'aide des mains est nécessaire. Toujours prudent dans l'effort, je rejoins le chemin escarpé qui mène à la Vigie en recevant de plein fouet le Cers omniprésent qui semble s'être renforcé. Un regard circulaire sur le point de vue exceptionnel et il faut poursuivre sans attendre malgré l'effort accru par le froid  et les rafales irréfutables.

25 km: 2 h 46 min 56 s de course - La moitié du parcours est accomplie. Même s'il me reste une marge de manœuvre pour terminer dans les 6h, je sais qu'il faudra résister pendant encore 3h à la fatigue, aux cailloux, aux éléments hostiles… Mentalement, je suis déterminé, mon corps n'a plus qu'à suivre. D'ailleurs, l'accès au plateau de la Garrigue de Figuières vient expérimenter de façon agressive mes bonnes résolutions.
    Le GR®
sentier de la Clape ne se laisse pas conquérir docilement et c'est après une lutte opiniâtre de 1,5 km que j'en viens à bout avant de m'orienter enfin vent arrière, vers les Auzils. Au carrefour dominant Figuières, un magnifique drapeau aux couleurs catalanes, solidement arrimé, claque fièrement au vent d'Ouest, repère immuable pour piétons en déroute.
    Le retour vers la chapelle est moins contraignant mais je reste néanmoins en éveil: c'est un monotrace que je connais bien pour l'avoir pratiqué à plusieurs reprises seul et avec Yves - les cailloux qui le compose sont autant de pièges en attente de chevilles incertaines ou de foulées trop rasantes. Je me laisse malgré tout  entraîner par l'allure soutenue d'un concurrent et, bien calé dans son sillage, déguste quelques abricots secs, juste récompense gustative pour raviver les calories perdues dans le combat contre la bourrasque.

29 km: arrivé à proximité des Auzils,  je laisse la chapelle votive et ses cénotaphes sur ma gauche pour suivre le sentier venté qui surplombe la retenue du Rec d'Argent. Dans la descente escarpée vers la vallée du Rec, je laisse filer un coureur intrépide qui me talonnait depuis un certain temps - je ne supporte pas qu'un homme me suive ainsi de près, même pour des raisons sportives, surtout si celles-ci sont doublées d'intentions amicales…
    Le passage à l'abri dans le ruisseau rocailleux pourrait paraître comme une simple formalité tant je l'ai parcouru mainte fois et en toutes saisons; je ressens tout de même, personne ne peut s'en étonner, une certaine diminution de mon aisance habituelle à escalader les nombreux obstacles rocheux.
Alternant désormais alimentation salée et sucrée, je réussis toutefois à dépasser poliment un trio vraisemblablement en phase de récupération.
    Au terme du périple empierré dans le Rec, le sentier du
Plan Vigné se présente à moi comme une trêve dans ce combat dérisoire et pathétique contre la nature. La déclivité du terrain s'est estompée pour s'incliner favorablement en une douce descente odorante coulant entre chênes, pistachiers, genévriers, romarins… J'y verrai presque un hommage à ma pugnacité: ce n'est que de l'auto suggestion consciente, méthode personnelle de combat contre le désarroi.
    Brusquement, au détour d'un bosquet, la gifle magistrale d'une rafale glaciale vient mettre un terme à mes élucubrations. Je viens de parvenir en haut des falaises dominant
Gruissan et les étangs, non loin du domaine de Pierre Droite. Le point de vue est remarquable, remarquablement venté aussi. Signalétique de danger et secouristes fluorescents sont là pour inciter à la prudence au passage obligé par la corde immuable, rampe d'accès obligatoire amenant au pied des falaises d'escalade qu'il faut longer et en dévaler le sentier poussiéreux jusqu'à la route (32 km). Un coup d'œil sur le GPS, témoin cruel mais impartial: il m'indique comme je m'en doutais, une baisse de moyenne horaire que j'accepte avec résignation.

33 km: - 4h de course - 1er ravitaillement: une tente, des bénévoles chaleureux affairés à réconforter les organismes des coureurs marqués par les kilomètres parcourus. Sur une table garnie de victuailles énergétiques, je me laisse tenter, même si je n'en éprouve pas l'envie, par un morceau de banane, une part de pain d'épices, un coca glacé(!) suivi d'une soupe brûlante(!!). Mélange étonnant et détonnant qui, à défaut de se révéler gastronomique, devrait me rendre la vigueur nécessaire à la quête obstinée d'une arrivée salvatrice.
    Et là, au fond de la tente, dignement drapé d'une couverture rustique, immobile auprès d'une imposante marmite où mijote la soupe rituelle, tel un vénérable druide en pleine méditation transcendantale, m'apparaît Gaëtan!
    Son apparition est d'autant plus insolite à ce moment que je l'imaginais déjà proche de l'arrivée, perspective tout à fait plausible compte tenu de ses capacités physiques et de son âge. Tout en m'aidant au remplissage du bidon, il m'explique que, suite à l'abandon de son coéquipier Alexis, il a décidé d'attendre Julia pour parcourir ensemble les 17 km restants. Abnégation admirable et respectable! Quelle attitude chevaleresque!
    A propos de cheval, il est temps pour moi de me remettre en selle et repartir au trot direction l'
Ile St Martin. Avant, j'évalue rapidement la capacité restante de ma poche à eau: un peu plus d'1litre - ce qui devrait me permettre de terminer sans avoir à me réapprovisionner.

40 km: - 4h 49 min de course - je viens de passer la Combe de l'Abeille bien abritée, trop bref répit avant de virer à droite pour longer l'étang de Campignol vaste miroir inerte figé par la glace, animé il y a à peine un mois par le long tapis ondoyant d'une colonie migratoire de foulques macroules.
    Auparavant, prendre pied sur l'
Ile St Martin n'a pas été des plus facile. Après ma halte reconstituante, la relance a été très progressive pour atteindre la bosse de St Laurent avec vent de face et montée douce mais éprouvante sur 1 km. Le domaine de Capoulade s'est laissé docilement contourner par le haut pour offrir sournoisement la descente brutale d'un coupe-feu au sol fuyant, instable. En évitant de me laisser emporter par la vitesse, je gardais cependant suffisamment d'ardeur pour m'élancer tout en bas sur un sentier discret remontant sèchement à travers pins et rochers pour redescendre enfin, après quelque serpentement intime et sauvage à travers les sous-bois, sur le large chemin plat de l'étang de Gruissan. C'est à cet endroit précis, juste avant de franchir la passerelle métallique, que je dépassais deux concurrents dont la progression était contrariée par les bourrasques déraisonnablement réfrigérantes d'un Cers impitoyable. Dans cette lutte inégale, l'obstination d'avancer paraissait m'ouvrir la voie comme l'étrave d'un brise glace inébranlable. Dans ces moments difficiles, j'invoquais à haute voix le nom de mes proches et cette seule évocation suffisait à attiser l'effet recherché…atteindre le but ultime: progresser!

42 km: comme je le pressentais, les 10 derniers kilomètres se révèlent les plus éprouvants. Le sentier des Goules qui épouse la Barre de l'Evêque d'habitude si propice à la rêverie et à l'enchantement par ses accents typiquement méditerranéens, se dévoile aujourd'hui en immonde chimère venue du Grand Nord figer d'effroi et de froid l'occitan chaleureux.
    Bousculées par les salves venteuses assidues, les jambes peinent à assurer l'équilibre du corps sur le sentier généreusement empierré. Vexé par tant d'acharnement morbide de la nature contre la probité laborieuse de mon ambition, je tourne enfin le dos à l'assaillant éolien  aidé en cela par un changement providentiel dans la direction du parcours.
    Passage devant un dernier contrôle de dossards, quelques foulées moelleuses sur le bord de l'
étang de l'Ayrolle, pour arriver à travers les vignes de l'Evêque, au dernier ravitaillement. Il est 13h30. Plus que 6 km avant l'arrivée. Un coca avalé à la hâte pour émoustiller mes derniers neurones cérébraux encore fonctionnels et je repars, pressé dès lors de mener cette aventure jusqu'à son terme dorénavant accessible.
    Entre les vignes de
la Plaine et de St Martin, l'impression de réaliser une course en solitaire devient une réalité incontestable. Au fil des kilomètres et des difficultés rencontrées, la distance entre les combattants du sentier s'est graduellement accrue. Seuls spectateurs privilégiés d'une mise en scène dramatique, les bénévoles, par leurs encouragements bienveillants, parviennent à offrir une touche délicatement humaine à cette dure lutte contre nature.

47 km: sur le sentier rocailleux qui évolue à travers crêtes et combes, le regard découvre par intermittence, au grès des courbes de niveau, le vaste damier des marais salants pétrifiés. Plus loin, l'oscillation de mâts dévoilés annonce Gruissan et son port.
    Mais, est-ce l'euphorie de la fin de course qui incite, malgré la fatigue, à réduire ma vigilance aidé en cela par une bouffée d'endorphines légalement stupéfiantes?
    Subitement, mon pied gauche heurte l'extrémité d'une pierre à l'apparence anodine, solidement enchâssée dans la terre aride. Le corps déséquilibré avec l'intuition d'une chute imminente inévitable, je ne peux résister à l'appel du sol, les bras tendus en avant dans un réflexe instinctif de survie. Une fraction de seconde pendant laquelle je revois, comme dans un diaporama fou, les choses de ma vie. Après une roulade latérale amortie par le sac à dos, mon corps s'immobilise aussitôt. Le halo lumineux vers lequel je crois être aspiré n'est que la buée diaphane plaquée sur le verre des lunettes. Rapidement debout, le constat est rassurant… doublement rassurant: pas de mal apparent, pas de témoins aux alentours. Le corps et l'honneur saufs, je repars sans tarder vers la colline dominant
Gruissan pour en dévaler la pente à pas mesurés, entre les pins vénérables.
    A l'entrée du village, avant de franchir le
canal du Grazel, j'absorbe un dernier gel hyper glucidique qui me permet d'avaler le dernier kilomètre avec force et détermination malgré  la coalition infernale du vent et du  froid , de la fatigue et la douleur.


50km: - 6h 01 min 59 s de course - arrivée triomphale discrète sur le long tapis rouge à l'intérieur du Palais des Congrès. Accueilli chaleureusement par quelques amis, je me laisse envahir par un sentiment de fierté légitime et revitalisante. L'objectif est atteint, la mission accomplie…En attendant les résultats officiels ainsi que l'arrivée de Julia escortée de ses preux chevaliers, je me fraye un passage vers le buffet et, après alimentation et hydratation reconstituantes, je m'offre le luxe d'un massage apaisant qui devrait réduire l'intensité des courbatures des prochains jours.
    A bientôt pour de nouvelles aventures à l'assaut des châteaux occitans:
Trail des Citadelles 2012 à Lavelanet -
Course des Seigneurs 2012 à Cucugnan.

Moussan - 4ème Trail du Boër 2010

          Pas de précipitation ce matin pour atteindre le village de Moussan distant de 6 ou 7 kilomètres de Narbonne. J’aurai même pu m’y rendre à pied en suivant la Robine jusqu’au domaine de Védillan mais l’accès réglementé m’a incité à suivre la voie de la raison et de la modernité: utiliser un véhicule automobile à énergie fossile et participer ainsi à l’effort collectif de la destruction ozonale.

          Garé dans un lotissement près du cimetière, je vérifie mon équipement et me dirige allègrement vers le centre du village. Ma tenue d’hiver me protège bien d’un air froid et sec. La température est idéale pour cette course d’environ 23 km dont le départ est fixé à 8h30. Il est 7h30. Il fait encore nuit et il me reste un peu de temps avant de débuter ma marche solitaire.

          Avec le concours précieux de Gaëtan qui m’a fourni une carte détaillée de la boucle, j’ai déterminé, suivant ses conseils avisés, divers points stratégiquement intéressants pour prendre sur le fait diverses attitudes d’effort, de souffrance et aussi, mais oui, de plaisir - magie des endorphines.

          Moussan s’ébroue, mon GPS s’anime. En attendant la découverte satellitaire de l’appareil, je pousse jusqu’à la salle d’inscription à travers les ruelles fraîchement animées par un marché de Noël débutant. La police municipale sur le pied de guerre tente de réguler un trafic intensifié par les évènements simultanés. Isolés ou en groupes, quelques coureurs déambulent déjà bien ajustés dans leurs collants fluo. Bonnets, Buff et gants sont de rigueur.

          7h50. Top chrono. Je m’élance, toujours en marche rapide, vers la périphérie, suivant obstinément fléchage bleu et rubalise dont la prolifération empêche toute tentative involontaire d’égarement . Dernières maisons…un peu de goudron…le parcours bifurque rapidement vers les hauteurs des ruines du moulin de Servolle. Erigée tel un défit à la beauté du site, une antenne télécom disgracieuse accroche les premiers rayons du soleil.

          Le parcours est très plaisant. Tantôt aéré sur de larges chemins, tantôt resserré à travers pins et buissons odorants, le sentier invite à la relance et la recherche de sensations. Jusqu’au Pech Roumieu, beaux dégagements sur la plaine de l’Aude dont les méandres paressent entre les villages: Sallèles, Saint Marcel, Marcorignan, Névian… Au Nord, Fontcalvy, Capestang et sa collégiale, puis le Carroux barrant l’horizon; à l’Ouest, la croupe sombre de la Montagne Noire; au Sud, l’Alaric à peine tourmenté par les éoliennes inertes de Névian, laisse découvrir le Mont Tauch, les Corbières et la chaîne pyrénéenne étincelante de neige avec le Canigou d’une fierté toute catalane.

          Descente rapide entre les vignes des Mailloles, traversée de la départementale avant d’entreprendre la brève montée vers la bergerie ruinée de Fresquet. Au, passage, quelques clichés de la charmante chapelle Saint Laurent, à l’intersection de la petite boucle qui parcourt la pinède à travers la bade au sud de Moussan.
Coup d’œil sur la montre: bientôt le départ de la course. Plus question maintenant, comme je l’avais prévu, de continuer sur ma lancée. L’objectif étant de repérer un affût de chasse photographique suffisamment éloigné du départ pour obtenir une bonne luminosité, une topologie peu adaptée à la rapidité et aussi un kilométrage apte à marquer la physionomie de chacun. C’est cruel, j’en conviens - un traileur humoriste m’en a fait la remarque, mais je reste étranger à l’élaboration du parcours…et l’inscription est une démarche volontaire.

          Le plan bien en main, je rejoins facilement la belle montée derrière le domaine de Fresquet et l’entreprends en sens inverse du fléchage. Tout en descendant, mon opinion s’affirme: « c’est ici que le drame va se jouer! » - et j’en serai le spectateur privilégié. Mais trêve de rêverie, l’heure tourne et il faut que je sois à mon rendez-vous, vers la bergerie, pour un premier contact avec évaluation de l’allure du groupe de tête.

          Le tracé dans la pinède est technique, monotrace, virevoltant et toujours bien indiqué, malgré le contre-sens. La sortie du bois est soudaine, presque surprenante. Le parcours passe à travers les vignes et les champs de la Treille pour atteindre le chemin à proximité de la chapelle. La petite boucle est bouclée. Je remonte alors le chemin de la fontaine de Saint Laurent, croisant un couple de signaleurs déjà en poste qui me signalent le passage imminent de la course. J’aperçois en effet sur le versant de la colline opposée, une ribambelle de coureurs multicolores qui dévalent à bonne allure les coteaux ensoleillés.

          Juste le temps d’arriver à la côte 104 avant le km 5 (voir carte) et de dégainer l’appareil-photo: Laurent Soulier, David Solier…les sportifs défilent rapidement. Trop rapidement. Le terrain plat, la lumière frisante du matin, le rythme des coureurs ne permettent pas un ajustement précis des clichés. Néanmoins, j’échange quelques paroles de sympathie et d’encouragement avec certains, connus ou pas.

          La horde passée, j’attends en vain Juju le Clown touche poétique finale de toute course régionale. Il reste aux coureurs 5 km à parcourir avant de se trouver au pied du raidillon de Fresquet. Cela me laisse largement le temps de me positionner en haut de celui-ci. A mon arrivée près du lieu envisagé, au détour d’une courbe, je surprends - ou plutôt je suis surpris par l’installation de ce qui semble être un stand de ravitaillement, inexistant lors de mon premier passage.

          Autour d’une table garnie de bouteilles, gobelets et cubitainers divers, une bande de joyeux drilles s’agite aimablement :plaisanteries et rires francs se mêlent déchirant la quiétude matinale dans une bonhomie rafraîchissante. Les prenant pour des Moussanots, ils s’insurgent et me corrigent:« nous sommes tous de Névian sauf un »; ils acceptent la photo de groupe non sans m’avoir fièrement présenté leur trophée: un magnifique jambon à l’os prêt à être sacrifié sur l’autel des courses hors stade. Vive le sport!
Refusant poliment l’invitation à leurs agapes, je m’éclipse lâchement, prétextant une contre-indication médicale et un manque d’entraînement. Quelques mètres plus bas, je me poste à l’endroit repéré auparavant et patiente dans l’attente des coureurs.

Veuillez accepter, chers traileurs du Boër,
les preuves en photos de ma considération.







Sigean - 4ème Course des Vents

Temps maussade ce dimanche matin. Sur la route menant au village familial, bien à l’abri dans la voiture, je scrute le ciel obscur chargé de nuages qui viennent crachoter sur le pare-brise leur mépris du soleil encore derrière l’horizon. Un léger cers rafraîchi agréablement cette atmosphère humide, présageant quelque éclaircie salvatrice prochaine.

Arrivée à Sigean sur la place de l’Octroi où aura lieu à 9h le départ de la course: l’agitation traditionnelle des organisateurs, coureurs et autres participants accompagnent le lever du jour.
Déjà en tenue de randonnée depuis la maison, j’ai peu à attendre avant de voir arriver les sujets favoris de mon objectif; Gaëtan, Julia, Laure. Seule, Julia doit courir le 11 km; Gaëtan, pétri de sagesse, prend le risque de rester auprès de Laure dont le verbe intarissable est plus efficace qu’un gel énergétique.

Un rapide coup d’œil sur la carte des 2 boucles (11 et 22 km) et je m’élance d’un pas décidé, affrontant quelques gouttes de pluie et flaques clairsemées, sur la route menant à la vallée du Rieu. Aujourd’hui, j’applique une nouvelle stratégie issue de profondes réflexions et d’observations attentives antérieures: mon but étant le récit de la course à travers paysages et personnages, n’est-il pas judicieux d’aller à la rencontre des coureurs en suivant l’itinéraire en sens inverse? Ainsi, plus d’inconvénient de se laisser surprendre par des dépassements inopinés et intempestifs, meilleur choix du cadre des prises de vue en toute sérénité, vision élargie à tous les participants sans oublier Julien Poinas, marqueur indispensable, incontournable et ludique de toutes fins de pelotons.

Après le pont sur la rocade menant à Port-la-Nouvelle, je vire donc à gauche et rejoins les sentiers caillouteux après 2 km d’asphalte rébarbatif. Suivant le fléchage - inversé pour moi, je maintient l’allure entre 8 et 9 km/h en prenant soin d’observer et m’imprégner d’un environnement plein de charme et de douceur sauvage où les souvenirs d’une jeunesse insouciante m’invitent encore à la rêverie.

Je devais alors avoir une dizaine d’années et c’est le Jeudi après-midi que le curé de la paroisse, Charles Manenti, grand initiateur du patronage, corse de naissance et de caractère, accompagnait les garnements du village jusque sur le plateau de la Garrigue Haute où nous parcourions bois, falaises et clapas sous liberté surveillée mais avec ce sentiment d’indépendance solidaire qui me hante encore…


Quelques clichés et kilomètres plus loin, je débouche sur le chemin de Plaisance: je réalise alors que, absorbé par les souvenirs émouvants, j’ai du louper une bifurcation. Mes prévisions situant la rencontre avec la tête de la course à l’intersection des deux boucles, en haut de la Métairie ruinée des 3 fontaines, sont désormais à revoir. Sans mollir, j’arrive au gué du Rieu, au pied de la rude montée vers les éoliennes et je décide finalement de m’orienter vers le début de la course dont le départ doit être incessant.

Bientôt 9 h. Après avoir longé le lit du Rieu et traversé une vigne fraîchement arrachée dont les racines entassées et nues attendent le bûcher expiatoire, j’emprunte le sentier balisé à la recherche d’un affût photographique que je choisi enfin sur mourel dégagé et suffisamment pentu pour ralentir les coureurs les mieux aiguisés.

Quelques minutes d’attente et une dizaine de traileurs entraînés par David Solier passent, le regard droit où semble poindre déjà pour certains, la volonté d’en découdre. Je réalise quelques clichés au hasard du flot régulier des coureurs: spectacle fascinant de ce monde finalement discret, peu médiatisé, d’où les foules hurlantes et gesticulantes des stades restent absentes. Pourtant, ce ne sont pas les gradins naturels et confortables qui manquent tout le long des sentiers…

Dans leur différents costumes scéniques - professionnel et publicitaire, multicolore, chatoyant, sobre, sombre ou étincelant, aéré et estival, enveloppant, réfléchissant, imperméable et coupe-vent, les dossards numérotés défilent dans un désordre organisé où chacun garde au fond de soi un secret commun mal dissimulé: boucler la boucle!
 Parmi tous ces corps agités, quelques visages familiers reconnus sourient face à l’objectif: Julia, Damien, Virginie, Didier, Antoine, Valérie…Jean-Marc. Jean-Marc justement qui, frappé d’une subite bouffée euphorique liée sans doutes à l’altitude (50 m environ au-dessus du niveau de la mer) et me prenant peut-être pour un sherpa, sort de la file pour me confier son blouson, puis disparait visiblement soulagé en me remerciant dans un tibétain approximatif. Quelle assurance!
Le flot des coureurs se fait à présent moins dense et l’apparition toujours irréelle de Juju le Clown accompagné par quelques adeptes marque la fin du passage de la horde. Je reprends alors ma route en sens inverse en croisant un signaleur qui me fait remarquer que je ne suis pas dans la bonne direction. Remarque judicieuse, pleine de bon sens mais rassurante pour qui moi continue sous son regard incrédule.

Il me reste encore du temps avant que la course ne revienne des hauteurs du plateau. En bon connaisseur du terrain, j’opte pour d’autres points de rencontre dans les pinèdes qui bordent la vallée du Rieu. Rejoignant le parcours et toujours en sens inverse, je m’efforce de suivre les marques multicolores et fluorescentes qui jalonnent les sentiers en se superposant parfois dans des indications contradictoires. Quelques participants seront en effet déboussolés par ces juxtapositions colorées de courses antérieures.

C’est à travers ces monotraces ludiques, sur un sol schisteux et raisonnablement humide que je flashe le passage de concurrents du 11 km qui dévalent les pentes dans un ordre désormais beaucoup plus dispersé. La rencontre de Julia et Damien est pour moi le signal de retour au point de départ ainsi que la fin prochaine du reportage. Encore quelques raccourcis menés à bonne allure pour surprendre des coureurs isolés avant de rejoindre définitivement l’arcade gonflante d’arrivée.

Dernières photos, échange d’impressions, rencontres sympathiques avec des amis d’enfance, des traileurs-blogueurs enthousiastes (les Foulées du Sou)…
Prochaine participation envisagée: le 3ème Trail du Boër à Moussan le 12 décembre.
A bientôt peut-être…

Bugarach:12ème Ronde des Cimes

Sortie familiale et sportive ce Samedi 2 Octobre 2010.
Objectif: Bugarach et sa Ronde des Cimes - 15 km et 350 m environ de dénivelé.
Évènement pour moi dont le choix s'est porté sur la randonnée de10 km.                                                 
En effet, après avoir débuté il y a maintenant un peu plus d'un an par la marche rapide et m'être laissé séduire quelques mois par la course à pied, je reviens aujourd'hui à mes premières amours, la marche. Oui, la raison l'a emporté sur la passion, le vertige de la vitesse et la vision fugace de traileuses élégantes. Bref, ce n'est plus de mon âge.

Donc, départ à 13h. de Lézignan-Corbières avec Gaëtan, Julia et la petite Laure qui nous tient bien éveillés grâce à sa verve coutumière. Passage par Carcassonne puis Vallée de l'Aude direction Couiza. A mesure que les kilomètres défilent, une tension palpable s'installe peu à peu parmi  nous. Non pas à cause de Laure, enfin... pas entièrement, mais surtout nous réalisons que nous ne serons jamais à l'heure pour le départ de la randonnée, prévu à 14h25. La durée du trajet voiture a été sous estimée et, malgré les efforts de conduite de Gaë, c'est en catastrophe que nous arrivons à Bugarach.

Le ciel est gris, l'atmosphère humide; poussés par un vent d'Est soutenu, les nuages masquent les cimes environnantes. Tout proche, le Pech ne laisse dévoiler que ses flancs sombres où le regard se perd.
Mystère, angoisse, instant tragique...Le décor est planté: nous sommes bien à Bugarach!

Le village est en effervescence. Toute une population s'affaire dans les ruelles et sur la place où nous nous garons. Salut rapide à quelques coureurs connus et je me mets en tenue pendant que Gaëtan s'occupe de l'inscription. Même pour un marcheur, l'ambiance est à la course car le départ de la rando a déjà été donné...à  3 km de là, au Col du Linas, sur la route de Camps sur Agly. De retour avec le dossard (190), Gaë décide de m'accompagner là-bas en voiture. "Cool, ce n'est qu'une marche" lui lancerais-je pendant le trajet, mais je savais bien que c'était de l'autosuggestion consciente.

Arrivés sur le lieu de rassemblement, une arrière-garde de randonneurs débonnaires nous confirment le chemin mais c'est avec un agacement non feint que je découvre qu'il pleuviote et que l'impression de fraîcheur s'est accentuée. Les années passées à travers vignes et garrigues m'ont appris à travailler mes improvisations - la pratique du Blues aussi. C'est en un clin d'œil que je troque mon cuissard inapproprié pour un collant intégral léger mais plus protecteur. Voilà, ça y est, je suis enfin paré! La panoplie est complète: runnings ajustés,ceinture porte bidon par dessus le coupe-vent, casquette bien vissée, serre lunettes, GPS déclenché – un peu trop tardivement d’ailleurs.

Il est 14h42...environ et je quitte Gaë avec une impression étrange d'insatisfaction. Sûrement la magie ensorceleuse de Bugarach qui me poursuit. Pour éviter les tergiversations mentales du troisième type, je règle mon allure en me concentrant sur la technique acquise récemment à travers les sentiers de La Clape ou au Parc des Sports: conserver une vitesse moyenne de 8 km/h en évitant de courir, toujours garder le contact au sol, bien balancer les bras, buste bien droit, déhanchement latéral, regard au-delà de la ligne d'arrivée. Technique efficace sur le plat mais difficile à appliquer en montée aussi bien qu’en descente, surtout en terrain irrégulier et caillouteux. Un compromis entre marche rapide et athlétique qui convient à mes capacités psychophysiologiques.

D’ailleurs, le GPS qui vient de se mettre en phase avec les satellites, m’indique, 200m après le départ, que je suis à la bonne allure, au moment même où je dépasse un jeune randonneur bâtonné isolé, adepte nonchalant de la marche nordique. Au-dessus du hameau du Linas, je passe anonyme mais fier le 1er poste de ravitaillement de la course. Dès lors, je vais rattraper progressivement plusieurs groupes de marcheurs bien équipés, bavardant joyeusement et s’étalant, inconscients, sur toute la largeur de l’étroite montée vers la Forêt Domaniale de l’Eau Salée. M’insinuant poliment à travers ces obstacles mouvants, je parviens néanmoins à maintenir un bon rythme.

La pente se fait maintenant plus raide. Les chaussures accrochent bien, cœur et souffle sont à l’unisson, le vent frais atténue l’effort sans en briser l’ardeur.
Soudain, une lueur fulgurante pénètre mon esprit, brisant net cette sérénité qui commençait à prendre le pas sur l’angoisse initiale. A la vue des dossards accrochés au sac à dos de certains marcheurs, je viens de réaliser la raison de ce trouble : dans la frénésie du départ, j’ai oublié le mien sur le tableau de bord de la voiture! Voilà la raison de l’insatisfaction singulière du départ. Un instant décontenancé par cette négligence  stupide qui ne me ressemble pas, j’élabore mentalement quelque stratégie pour sauvegarder ma fierté émoussée par les contrariétés accumulées.

Plongé dans mes réflexions, j’arpente maintenant un étroit sentier herbu aux senteurs d’automne, bordé d’arbustes verdoyants et dont la douceur bucolique contraste avec l’âpreté du dénivelé. C’est pendant cette grimpette de 1km que je réalise les bienfaits d’un entraînement quotidien et que les efforts pour parcourir à pied plus de 2000 km depuis un an n’ont pas été vains. J’apprendrai à l’arrivée que certains coureurs ont marché à cette étape du parcours!
Suivant prudemment les balises, je parviens enfin à une large piste forestière qui semble marquer la fin de l’ascension en épousant les contours du massif. A une altitude de près de 800m, la forêt est omniprésente, profonde, silencieuse. La brume diaphane infiltrée à travers les troncs ajoute à la majesté onirique des lieux. Le crissement des semelles résonne faiblement sur le sol souple et humide, rythmant mon allure désormais plus régulière.

Moins focalisé sur la performance – je n’ai dépassé personne depuis environ 500 m – je repense au dossard en ajustant ma tenue. " Tiens, c’est bizarre, j’ai pris mon téléphone portable "- pensé-je en avisant la sacoche fixée à ma ceinture -  "  c’est bien la première fois que je le fais suivre lors d’une course officielle ". Il est 14h25. Cédant à la tentation, je me décide brusquement à appeler Gaëtan, conscient de l’imminence du départ de la course, sachant qu’il doit probablement se trouver dans un état de concentration intense. Bien sûr, pas de réponse mais je lui laisse un message d’encouragement après lui a voir signifié ma déconvenue identitaire.
Presque soulagé d’avoir pu laisser cette trace communicante moderne, j’accélère la cadence. Hydratation régulière, apport énergétique ponctuel, conditions météo stabilisées avec vent dans le dos, c’est avec confiance et détermination que je suis en vue du ravitaillement des 10 km de la course, frisant les 9 km/h. Affairés autour de larges stands garnis de mets et boissons diverses, des organisateurs s’agitent élaborant les derniers préparatifs avant le passage de la horde des concurrents.

Autonome et voulant assurer mon avance sur d’hypothétiques poursuivants, je parviens à leur hauteur sans l’intention de m’arrêter. Discret salut de la main, je passe mon chemin en continuant mon périple lorsque un choc brutal ébranle mon intégrité psychique." Et le dossard ? "- interroge l’un d’eux ". Un instant impressionné  par tant d'acuité professionnelle, je parviens à marmonner: "… oublié… n°90 … enfin … je crois … ", avec le sentiment culpabilisant de paraître pour un dissident, un hérétique, voire un extra-terrestre – la région s'y prête.
Mais cette faiblesse de mon équilibre intérieur est vite balayée par une lucidité libératrice soudaine mais trop longtemps contenue: " je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre!" comme le criait  le n°6 dans la série télévisée britannique " le Prisonnier" (1968). Ce n'est qu'une marche, il n'y a pas de compétition, au diable le dossard! Et c'est auréolé d'une exaltation motivante que j'attaque la deuxième partie de la randonnée, constatant en outre qu'à aucun moment je ne me suis retourné.

Dans la descente progressive menant au village de Bugarach, le paysage s'est modifié: la forêt dense s'efface graduellement, laissant la place à la chênaie verte, typique des versants calcaires soumis aux influences méditerranéennes. Malgré un ciel toujours chargé, la menace de pluie se fait moins insistante. Dans une boucle prononcée de la piste, je passe un dernier poste de ravitaillement déserté par leurs responsables, patientant à l'abri d'une voiture toute proche.
La descente s'accentue et m'oblige à un contrôle accru de mes foulées pour ne pas courir. Quelques habitations isolées surgissent au détour de virages, annonçant la proximité du village blotti au pied du Pech toujours invisible. Passage sur un gué, entrée par la rue principale bien gardée par un signaleur en tenue traditionnelle - jaune fluo, dernière petite côte et arrivée triomphale dans l'anonymat le plus complet. Réflexe d'arrêter le Garmin (GPS): 1h:09mn:07s pour 10,3 km et une vitesse moyenne de 8,9 km/h. Pierre aurait été fier de moi…

Personne pour m'accueillir ou enregistrer mon arrivée. Même un photographe puissamment  équipé n'a pas daigné me flasher, malgré un sourire racoleur l'invitant au déclic. Est-ce parce que je ne porte pas de dossard? Je comprends vite que ce que je crois être du dédain n'est qu'une attention détournée par une manifestation concurrente: la foule assemblée sur la place est en train d'acclamer nombre d'enfants venus aussi, comme les grands, participer à cette belle fête champêtre. Après la course dans les ruelles, c’est la remise des récompenses avec médaille pour tout le monde.

Petite Laure et Virginie – la nounou du jour, à l’affût dans un coin de la placette mais subjuguées par l’agitation du podium, ne m’ont pas vu arriver. Un instant incrédule, Virginie court chercher le dossard délaissé pendant que Laure me presse de questions essentielles: "…et Maman…et Papa…où est mon lapin…quand est-ce qu'on goûte...??? Le dossard récupéré, je peux enfin faire valider mon parcours par un bénévole officiel qualifié.

Ma quête du Graal  réalisée, je cours marche pour me changer avant de partir à la rencontre des coureurs dont je laisse la trace photographique ici.