Roda que rodaras, mai dins ton pais tornaras.

Moussan - 4ème Trail du Boër 2010

          Pas de précipitation ce matin pour atteindre le village de Moussan distant de 6 ou 7 kilomètres de Narbonne. J’aurai même pu m’y rendre à pied en suivant la Robine jusqu’au domaine de Védillan mais l’accès réglementé m’a incité à suivre la voie de la raison et de la modernité: utiliser un véhicule automobile à énergie fossile et participer ainsi à l’effort collectif de la destruction ozonale.

          Garé dans un lotissement près du cimetière, je vérifie mon équipement et me dirige allègrement vers le centre du village. Ma tenue d’hiver me protège bien d’un air froid et sec. La température est idéale pour cette course d’environ 23 km dont le départ est fixé à 8h30. Il est 7h30. Il fait encore nuit et il me reste un peu de temps avant de débuter ma marche solitaire.

          Avec le concours précieux de Gaëtan qui m’a fourni une carte détaillée de la boucle, j’ai déterminé, suivant ses conseils avisés, divers points stratégiquement intéressants pour prendre sur le fait diverses attitudes d’effort, de souffrance et aussi, mais oui, de plaisir - magie des endorphines.

          Moussan s’ébroue, mon GPS s’anime. En attendant la découverte satellitaire de l’appareil, je pousse jusqu’à la salle d’inscription à travers les ruelles fraîchement animées par un marché de Noël débutant. La police municipale sur le pied de guerre tente de réguler un trafic intensifié par les évènements simultanés. Isolés ou en groupes, quelques coureurs déambulent déjà bien ajustés dans leurs collants fluo. Bonnets, Buff et gants sont de rigueur.

          7h50. Top chrono. Je m’élance, toujours en marche rapide, vers la périphérie, suivant obstinément fléchage bleu et rubalise dont la prolifération empêche toute tentative involontaire d’égarement . Dernières maisons…un peu de goudron…le parcours bifurque rapidement vers les hauteurs des ruines du moulin de Servolle. Erigée tel un défit à la beauté du site, une antenne télécom disgracieuse accroche les premiers rayons du soleil.

          Le parcours est très plaisant. Tantôt aéré sur de larges chemins, tantôt resserré à travers pins et buissons odorants, le sentier invite à la relance et la recherche de sensations. Jusqu’au Pech Roumieu, beaux dégagements sur la plaine de l’Aude dont les méandres paressent entre les villages: Sallèles, Saint Marcel, Marcorignan, Névian… Au Nord, Fontcalvy, Capestang et sa collégiale, puis le Carroux barrant l’horizon; à l’Ouest, la croupe sombre de la Montagne Noire; au Sud, l’Alaric à peine tourmenté par les éoliennes inertes de Névian, laisse découvrir le Mont Tauch, les Corbières et la chaîne pyrénéenne étincelante de neige avec le Canigou d’une fierté toute catalane.

          Descente rapide entre les vignes des Mailloles, traversée de la départementale avant d’entreprendre la brève montée vers la bergerie ruinée de Fresquet. Au, passage, quelques clichés de la charmante chapelle Saint Laurent, à l’intersection de la petite boucle qui parcourt la pinède à travers la bade au sud de Moussan.
Coup d’œil sur la montre: bientôt le départ de la course. Plus question maintenant, comme je l’avais prévu, de continuer sur ma lancée. L’objectif étant de repérer un affût de chasse photographique suffisamment éloigné du départ pour obtenir une bonne luminosité, une topologie peu adaptée à la rapidité et aussi un kilométrage apte à marquer la physionomie de chacun. C’est cruel, j’en conviens - un traileur humoriste m’en a fait la remarque, mais je reste étranger à l’élaboration du parcours…et l’inscription est une démarche volontaire.

          Le plan bien en main, je rejoins facilement la belle montée derrière le domaine de Fresquet et l’entreprends en sens inverse du fléchage. Tout en descendant, mon opinion s’affirme: « c’est ici que le drame va se jouer! » - et j’en serai le spectateur privilégié. Mais trêve de rêverie, l’heure tourne et il faut que je sois à mon rendez-vous, vers la bergerie, pour un premier contact avec évaluation de l’allure du groupe de tête.

          Le tracé dans la pinède est technique, monotrace, virevoltant et toujours bien indiqué, malgré le contre-sens. La sortie du bois est soudaine, presque surprenante. Le parcours passe à travers les vignes et les champs de la Treille pour atteindre le chemin à proximité de la chapelle. La petite boucle est bouclée. Je remonte alors le chemin de la fontaine de Saint Laurent, croisant un couple de signaleurs déjà en poste qui me signalent le passage imminent de la course. J’aperçois en effet sur le versant de la colline opposée, une ribambelle de coureurs multicolores qui dévalent à bonne allure les coteaux ensoleillés.

          Juste le temps d’arriver à la côte 104 avant le km 5 (voir carte) et de dégainer l’appareil-photo: Laurent Soulier, David Solier…les sportifs défilent rapidement. Trop rapidement. Le terrain plat, la lumière frisante du matin, le rythme des coureurs ne permettent pas un ajustement précis des clichés. Néanmoins, j’échange quelques paroles de sympathie et d’encouragement avec certains, connus ou pas.

          La horde passée, j’attends en vain Juju le Clown touche poétique finale de toute course régionale. Il reste aux coureurs 5 km à parcourir avant de se trouver au pied du raidillon de Fresquet. Cela me laisse largement le temps de me positionner en haut de celui-ci. A mon arrivée près du lieu envisagé, au détour d’une courbe, je surprends - ou plutôt je suis surpris par l’installation de ce qui semble être un stand de ravitaillement, inexistant lors de mon premier passage.

          Autour d’une table garnie de bouteilles, gobelets et cubitainers divers, une bande de joyeux drilles s’agite aimablement :plaisanteries et rires francs se mêlent déchirant la quiétude matinale dans une bonhomie rafraîchissante. Les prenant pour des Moussanots, ils s’insurgent et me corrigent:« nous sommes tous de Névian sauf un »; ils acceptent la photo de groupe non sans m’avoir fièrement présenté leur trophée: un magnifique jambon à l’os prêt à être sacrifié sur l’autel des courses hors stade. Vive le sport!
Refusant poliment l’invitation à leurs agapes, je m’éclipse lâchement, prétextant une contre-indication médicale et un manque d’entraînement. Quelques mètres plus bas, je me poste à l’endroit repéré auparavant et patiente dans l’attente des coureurs.

Veuillez accepter, chers traileurs du Boër,
les preuves en photos de ma considération.







Sigean - 4ème Course des Vents

Temps maussade ce dimanche matin. Sur la route menant au village familial, bien à l’abri dans la voiture, je scrute le ciel obscur chargé de nuages qui viennent crachoter sur le pare-brise leur mépris du soleil encore derrière l’horizon. Un léger cers rafraîchi agréablement cette atmosphère humide, présageant quelque éclaircie salvatrice prochaine.

Arrivée à Sigean sur la place de l’Octroi où aura lieu à 9h le départ de la course: l’agitation traditionnelle des organisateurs, coureurs et autres participants accompagnent le lever du jour.
Déjà en tenue de randonnée depuis la maison, j’ai peu à attendre avant de voir arriver les sujets favoris de mon objectif; Gaëtan, Julia, Laure. Seule, Julia doit courir le 11 km; Gaëtan, pétri de sagesse, prend le risque de rester auprès de Laure dont le verbe intarissable est plus efficace qu’un gel énergétique.

Un rapide coup d’œil sur la carte des 2 boucles (11 et 22 km) et je m’élance d’un pas décidé, affrontant quelques gouttes de pluie et flaques clairsemées, sur la route menant à la vallée du Rieu. Aujourd’hui, j’applique une nouvelle stratégie issue de profondes réflexions et d’observations attentives antérieures: mon but étant le récit de la course à travers paysages et personnages, n’est-il pas judicieux d’aller à la rencontre des coureurs en suivant l’itinéraire en sens inverse? Ainsi, plus d’inconvénient de se laisser surprendre par des dépassements inopinés et intempestifs, meilleur choix du cadre des prises de vue en toute sérénité, vision élargie à tous les participants sans oublier Julien Poinas, marqueur indispensable, incontournable et ludique de toutes fins de pelotons.

Après le pont sur la rocade menant à Port-la-Nouvelle, je vire donc à gauche et rejoins les sentiers caillouteux après 2 km d’asphalte rébarbatif. Suivant le fléchage - inversé pour moi, je maintient l’allure entre 8 et 9 km/h en prenant soin d’observer et m’imprégner d’un environnement plein de charme et de douceur sauvage où les souvenirs d’une jeunesse insouciante m’invitent encore à la rêverie.

Je devais alors avoir une dizaine d’années et c’est le Jeudi après-midi que le curé de la paroisse, Charles Manenti, grand initiateur du patronage, corse de naissance et de caractère, accompagnait les garnements du village jusque sur le plateau de la Garrigue Haute où nous parcourions bois, falaises et clapas sous liberté surveillée mais avec ce sentiment d’indépendance solidaire qui me hante encore…


Quelques clichés et kilomètres plus loin, je débouche sur le chemin de Plaisance: je réalise alors que, absorbé par les souvenirs émouvants, j’ai du louper une bifurcation. Mes prévisions situant la rencontre avec la tête de la course à l’intersection des deux boucles, en haut de la Métairie ruinée des 3 fontaines, sont désormais à revoir. Sans mollir, j’arrive au gué du Rieu, au pied de la rude montée vers les éoliennes et je décide finalement de m’orienter vers le début de la course dont le départ doit être incessant.

Bientôt 9 h. Après avoir longé le lit du Rieu et traversé une vigne fraîchement arrachée dont les racines entassées et nues attendent le bûcher expiatoire, j’emprunte le sentier balisé à la recherche d’un affût photographique que je choisi enfin sur mourel dégagé et suffisamment pentu pour ralentir les coureurs les mieux aiguisés.

Quelques minutes d’attente et une dizaine de traileurs entraînés par David Solier passent, le regard droit où semble poindre déjà pour certains, la volonté d’en découdre. Je réalise quelques clichés au hasard du flot régulier des coureurs: spectacle fascinant de ce monde finalement discret, peu médiatisé, d’où les foules hurlantes et gesticulantes des stades restent absentes. Pourtant, ce ne sont pas les gradins naturels et confortables qui manquent tout le long des sentiers…

Dans leur différents costumes scéniques - professionnel et publicitaire, multicolore, chatoyant, sobre, sombre ou étincelant, aéré et estival, enveloppant, réfléchissant, imperméable et coupe-vent, les dossards numérotés défilent dans un désordre organisé où chacun garde au fond de soi un secret commun mal dissimulé: boucler la boucle!
 Parmi tous ces corps agités, quelques visages familiers reconnus sourient face à l’objectif: Julia, Damien, Virginie, Didier, Antoine, Valérie…Jean-Marc. Jean-Marc justement qui, frappé d’une subite bouffée euphorique liée sans doutes à l’altitude (50 m environ au-dessus du niveau de la mer) et me prenant peut-être pour un sherpa, sort de la file pour me confier son blouson, puis disparait visiblement soulagé en me remerciant dans un tibétain approximatif. Quelle assurance!
Le flot des coureurs se fait à présent moins dense et l’apparition toujours irréelle de Juju le Clown accompagné par quelques adeptes marque la fin du passage de la horde. Je reprends alors ma route en sens inverse en croisant un signaleur qui me fait remarquer que je ne suis pas dans la bonne direction. Remarque judicieuse, pleine de bon sens mais rassurante pour qui moi continue sous son regard incrédule.

Il me reste encore du temps avant que la course ne revienne des hauteurs du plateau. En bon connaisseur du terrain, j’opte pour d’autres points de rencontre dans les pinèdes qui bordent la vallée du Rieu. Rejoignant le parcours et toujours en sens inverse, je m’efforce de suivre les marques multicolores et fluorescentes qui jalonnent les sentiers en se superposant parfois dans des indications contradictoires. Quelques participants seront en effet déboussolés par ces juxtapositions colorées de courses antérieures.

C’est à travers ces monotraces ludiques, sur un sol schisteux et raisonnablement humide que je flashe le passage de concurrents du 11 km qui dévalent les pentes dans un ordre désormais beaucoup plus dispersé. La rencontre de Julia et Damien est pour moi le signal de retour au point de départ ainsi que la fin prochaine du reportage. Encore quelques raccourcis menés à bonne allure pour surprendre des coureurs isolés avant de rejoindre définitivement l’arcade gonflante d’arrivée.

Dernières photos, échange d’impressions, rencontres sympathiques avec des amis d’enfance, des traileurs-blogueurs enthousiastes (les Foulées du Sou)…
Prochaine participation envisagée: le 3ème Trail du Boër à Moussan le 12 décembre.
A bientôt peut-être…

Bugarach:12ème Ronde des Cimes

Sortie familiale et sportive ce Samedi 2 Octobre 2010.
Objectif: Bugarach et sa Ronde des Cimes - 15 km et 350 m environ de dénivelé.
Évènement pour moi dont le choix s'est porté sur la randonnée de10 km.                                                 
En effet, après avoir débuté il y a maintenant un peu plus d'un an par la marche rapide et m'être laissé séduire quelques mois par la course à pied, je reviens aujourd'hui à mes premières amours, la marche. Oui, la raison l'a emporté sur la passion, le vertige de la vitesse et la vision fugace de traileuses élégantes. Bref, ce n'est plus de mon âge.

Donc, départ à 13h. de Lézignan-Corbières avec Gaëtan, Julia et la petite Laure qui nous tient bien éveillés grâce à sa verve coutumière. Passage par Carcassonne puis Vallée de l'Aude direction Couiza. A mesure que les kilomètres défilent, une tension palpable s'installe peu à peu parmi  nous. Non pas à cause de Laure, enfin... pas entièrement, mais surtout nous réalisons que nous ne serons jamais à l'heure pour le départ de la randonnée, prévu à 14h25. La durée du trajet voiture a été sous estimée et, malgré les efforts de conduite de Gaë, c'est en catastrophe que nous arrivons à Bugarach.

Le ciel est gris, l'atmosphère humide; poussés par un vent d'Est soutenu, les nuages masquent les cimes environnantes. Tout proche, le Pech ne laisse dévoiler que ses flancs sombres où le regard se perd.
Mystère, angoisse, instant tragique...Le décor est planté: nous sommes bien à Bugarach!

Le village est en effervescence. Toute une population s'affaire dans les ruelles et sur la place où nous nous garons. Salut rapide à quelques coureurs connus et je me mets en tenue pendant que Gaëtan s'occupe de l'inscription. Même pour un marcheur, l'ambiance est à la course car le départ de la rando a déjà été donné...à  3 km de là, au Col du Linas, sur la route de Camps sur Agly. De retour avec le dossard (190), Gaë décide de m'accompagner là-bas en voiture. "Cool, ce n'est qu'une marche" lui lancerais-je pendant le trajet, mais je savais bien que c'était de l'autosuggestion consciente.

Arrivés sur le lieu de rassemblement, une arrière-garde de randonneurs débonnaires nous confirment le chemin mais c'est avec un agacement non feint que je découvre qu'il pleuviote et que l'impression de fraîcheur s'est accentuée. Les années passées à travers vignes et garrigues m'ont appris à travailler mes improvisations - la pratique du Blues aussi. C'est en un clin d'œil que je troque mon cuissard inapproprié pour un collant intégral léger mais plus protecteur. Voilà, ça y est, je suis enfin paré! La panoplie est complète: runnings ajustés,ceinture porte bidon par dessus le coupe-vent, casquette bien vissée, serre lunettes, GPS déclenché – un peu trop tardivement d’ailleurs.

Il est 14h42...environ et je quitte Gaë avec une impression étrange d'insatisfaction. Sûrement la magie ensorceleuse de Bugarach qui me poursuit. Pour éviter les tergiversations mentales du troisième type, je règle mon allure en me concentrant sur la technique acquise récemment à travers les sentiers de La Clape ou au Parc des Sports: conserver une vitesse moyenne de 8 km/h en évitant de courir, toujours garder le contact au sol, bien balancer les bras, buste bien droit, déhanchement latéral, regard au-delà de la ligne d'arrivée. Technique efficace sur le plat mais difficile à appliquer en montée aussi bien qu’en descente, surtout en terrain irrégulier et caillouteux. Un compromis entre marche rapide et athlétique qui convient à mes capacités psychophysiologiques.

D’ailleurs, le GPS qui vient de se mettre en phase avec les satellites, m’indique, 200m après le départ, que je suis à la bonne allure, au moment même où je dépasse un jeune randonneur bâtonné isolé, adepte nonchalant de la marche nordique. Au-dessus du hameau du Linas, je passe anonyme mais fier le 1er poste de ravitaillement de la course. Dès lors, je vais rattraper progressivement plusieurs groupes de marcheurs bien équipés, bavardant joyeusement et s’étalant, inconscients, sur toute la largeur de l’étroite montée vers la Forêt Domaniale de l’Eau Salée. M’insinuant poliment à travers ces obstacles mouvants, je parviens néanmoins à maintenir un bon rythme.

La pente se fait maintenant plus raide. Les chaussures accrochent bien, cœur et souffle sont à l’unisson, le vent frais atténue l’effort sans en briser l’ardeur.
Soudain, une lueur fulgurante pénètre mon esprit, brisant net cette sérénité qui commençait à prendre le pas sur l’angoisse initiale. A la vue des dossards accrochés au sac à dos de certains marcheurs, je viens de réaliser la raison de ce trouble : dans la frénésie du départ, j’ai oublié le mien sur le tableau de bord de la voiture! Voilà la raison de l’insatisfaction singulière du départ. Un instant décontenancé par cette négligence  stupide qui ne me ressemble pas, j’élabore mentalement quelque stratégie pour sauvegarder ma fierté émoussée par les contrariétés accumulées.

Plongé dans mes réflexions, j’arpente maintenant un étroit sentier herbu aux senteurs d’automne, bordé d’arbustes verdoyants et dont la douceur bucolique contraste avec l’âpreté du dénivelé. C’est pendant cette grimpette de 1km que je réalise les bienfaits d’un entraînement quotidien et que les efforts pour parcourir à pied plus de 2000 km depuis un an n’ont pas été vains. J’apprendrai à l’arrivée que certains coureurs ont marché à cette étape du parcours!
Suivant prudemment les balises, je parviens enfin à une large piste forestière qui semble marquer la fin de l’ascension en épousant les contours du massif. A une altitude de près de 800m, la forêt est omniprésente, profonde, silencieuse. La brume diaphane infiltrée à travers les troncs ajoute à la majesté onirique des lieux. Le crissement des semelles résonne faiblement sur le sol souple et humide, rythmant mon allure désormais plus régulière.

Moins focalisé sur la performance – je n’ai dépassé personne depuis environ 500 m – je repense au dossard en ajustant ma tenue. " Tiens, c’est bizarre, j’ai pris mon téléphone portable "- pensé-je en avisant la sacoche fixée à ma ceinture -  "  c’est bien la première fois que je le fais suivre lors d’une course officielle ". Il est 14h25. Cédant à la tentation, je me décide brusquement à appeler Gaëtan, conscient de l’imminence du départ de la course, sachant qu’il doit probablement se trouver dans un état de concentration intense. Bien sûr, pas de réponse mais je lui laisse un message d’encouragement après lui a voir signifié ma déconvenue identitaire.
Presque soulagé d’avoir pu laisser cette trace communicante moderne, j’accélère la cadence. Hydratation régulière, apport énergétique ponctuel, conditions météo stabilisées avec vent dans le dos, c’est avec confiance et détermination que je suis en vue du ravitaillement des 10 km de la course, frisant les 9 km/h. Affairés autour de larges stands garnis de mets et boissons diverses, des organisateurs s’agitent élaborant les derniers préparatifs avant le passage de la horde des concurrents.

Autonome et voulant assurer mon avance sur d’hypothétiques poursuivants, je parviens à leur hauteur sans l’intention de m’arrêter. Discret salut de la main, je passe mon chemin en continuant mon périple lorsque un choc brutal ébranle mon intégrité psychique." Et le dossard ? "- interroge l’un d’eux ". Un instant impressionné  par tant d'acuité professionnelle, je parviens à marmonner: "… oublié… n°90 … enfin … je crois … ", avec le sentiment culpabilisant de paraître pour un dissident, un hérétique, voire un extra-terrestre – la région s'y prête.
Mais cette faiblesse de mon équilibre intérieur est vite balayée par une lucidité libératrice soudaine mais trop longtemps contenue: " je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre!" comme le criait  le n°6 dans la série télévisée britannique " le Prisonnier" (1968). Ce n'est qu'une marche, il n'y a pas de compétition, au diable le dossard! Et c'est auréolé d'une exaltation motivante que j'attaque la deuxième partie de la randonnée, constatant en outre qu'à aucun moment je ne me suis retourné.

Dans la descente progressive menant au village de Bugarach, le paysage s'est modifié: la forêt dense s'efface graduellement, laissant la place à la chênaie verte, typique des versants calcaires soumis aux influences méditerranéennes. Malgré un ciel toujours chargé, la menace de pluie se fait moins insistante. Dans une boucle prononcée de la piste, je passe un dernier poste de ravitaillement déserté par leurs responsables, patientant à l'abri d'une voiture toute proche.
La descente s'accentue et m'oblige à un contrôle accru de mes foulées pour ne pas courir. Quelques habitations isolées surgissent au détour de virages, annonçant la proximité du village blotti au pied du Pech toujours invisible. Passage sur un gué, entrée par la rue principale bien gardée par un signaleur en tenue traditionnelle - jaune fluo, dernière petite côte et arrivée triomphale dans l'anonymat le plus complet. Réflexe d'arrêter le Garmin (GPS): 1h:09mn:07s pour 10,3 km et une vitesse moyenne de 8,9 km/h. Pierre aurait été fier de moi…

Personne pour m'accueillir ou enregistrer mon arrivée. Même un photographe puissamment  équipé n'a pas daigné me flasher, malgré un sourire racoleur l'invitant au déclic. Est-ce parce que je ne porte pas de dossard? Je comprends vite que ce que je crois être du dédain n'est qu'une attention détournée par une manifestation concurrente: la foule assemblée sur la place est en train d'acclamer nombre d'enfants venus aussi, comme les grands, participer à cette belle fête champêtre. Après la course dans les ruelles, c’est la remise des récompenses avec médaille pour tout le monde.

Petite Laure et Virginie – la nounou du jour, à l’affût dans un coin de la placette mais subjuguées par l’agitation du podium, ne m’ont pas vu arriver. Un instant incrédule, Virginie court chercher le dossard délaissé pendant que Laure me presse de questions essentielles: "…et Maman…et Papa…où est mon lapin…quand est-ce qu'on goûte...??? Le dossard récupéré, je peux enfin faire valider mon parcours par un bénévole officiel qualifié.

Ma quête du Graal  réalisée, je cours marche pour me changer avant de partir à la rencontre des coureurs dont je laisse la trace photographique ici.